PIERRE MERCIER
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Un Ministère européen des cultures et des cultes

dimanche 22 novembre 2009, par Pierre Mercier


Discours d’investiture au poste de Ministre Européen des Cultures et des Cultes prononcé au Parlement européen de Strasbourg le 23 07 09 par ERREIP REICREM, ancien Ministre de la Culture et du Culte du Royaume de Danemark

Monsieur le Président du Parlement européen,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le Président de la Commission,
Mesdames et Messieurs les représentants des Institutions
Audiovisuelles et cinématographiques, des télévisions européennes, de la presse électronique et écrite,
Messieurs les représentants des cultes religieux, orientaux et occidentaux,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations laïques humanistes,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations d’artistes et des producteurs du spectacle vivant,
Mesdames et Messieurs les représentants du Patrimoine et de l’UNESCO,
Mesdames et Messieurs les représentants des activités archivistiques et archéologiques,
Messieurs les représentants du Centre International d’éthique de la numérisation des livres,
Mesdames et Messieurs,

En ce jour mémorable où pour la première fois, après que la gouvernance de l’Europe a pris la décision de créer un processus d’harmonisation des cultures européennes et de créer un ministère expérimental des cultures et des cultes, après qu’un comité d’experts a proposé au conseil de l’Europe ma candidature à cette charge et que nos députés, réunis en assemblée extraordinaire ont ratifié ce choix, me voilà devant vous aujourd’hui pour vous dire que j’accepte l’honneur qui m’a ainsi été fait et m’engage solennellement devant vous à en assumer les responsabilités.

En cette période de troubles et de conflits larvés qui nous font craindre une pandémie de guerres civiles, en cette période de crises et de frayeurs qui nous font craindre quelquefois jusqu’à la disparition de notre civilisation tant les valeurs qui l’ont bâtie sont aujourd’hui mises à mal par les dérèglements géo-économiques et écologiques auxquels nous semblons commencer d’assister, la création de ce ministère des Cultures et des Cultes, avant même qu’un gouvernement européen n’ait officiellement vu le jour, est le symbole de la foi que nos nations respectives gardent dans leurs capacités à continuer d’imaginer, fut-ce dans l’urgence, des actes de sauvegarde, de survivance, de redressement et d’expansion prospective.

Je vais prendre un exemple pour vous faire comprendre l’optimisme que j’espère insuffler à nos compatriotes.

Que nos amis néerlandais ne soient pas offusqués, bien au contraire, si je prends mon exemple chez eux. Chacun ici sait qu’en matière de conquête de territoires ils sont des maîtres à penser, puisqu’ils ont gagné et gagnent encore chaque jour davantage, sur la mer, le sol de leur patrie. Peut-être est-ce cela qui leur donne cette intelligence du territoire que l’on ne trouve nulle part ailleurs en Europe. Et, quand nous aurons pris la leçon Néerlandaise, les néerlandais n’auront pour autant rien perdu, car tout savoir acquis ne prive pas celui qui l’a donné, celui qui l’a dispensé. Là se trouve, à coup sûr, une des clefs de la politique culturelle que je souhaite mettre en oeuvre durant mon mandat. En effet, si, lorsque St. Martin partage son manteau en deux pour en donner la moitié à un pauvre qui est transi de froid il ne lui en reste alors qu’une autre moitié pour lui-même (St. Martin est un soldat de l’armée romaine et les soldats de cette glorieuse armée devaient payer la moitié de leur équipement, ainsi, Martin a donné toute la part de ce qui lui appartenait) mais si, je partageais avec vous ma connaissance de ma langue maternelle danoise, pour vous l’apprendre, je ne la parlerais pas deux fois moins bien pour autant. Cette économie du don, qui s’oppose à celle du crédit qu’un cartel d’industriels essayent d’imposer au monde de la culture, je voudrais, avec votre soutien, l’étendre aux relations solidaires qui peuvent et doivent s’instaurer entre tous nos pays pour qu’advienne une culture européenne fortement identifiable et hautement rayonnante.

Mais, voici mon exemple :


en 2004 je me trouvais à Rotterdam pour le Festival international du film et, par une sorte de hasard, au sortir du film de Catherine Breillat, « anatomie de l’enfer », je me retrouvais, avec un groupe d’amis, dans une rue dont de nombreuses maisons murées annonçaient une restructuration profonde du quartier. Soudain, nous découvrîmes une galerie d’art contemporain présentant le travail de quatre jeunes artistes qui avaient résidé chacun trois mois dans une sorte de bar, pour ne pas dire de bordel, transformé en atelier. L’un était Autrichien, l’autre Français, le troisième Allemand et le quatrième Irlandais. Chacun avait développé, à partir de son analyse du contexte un travail spécifique.
L’autrichien, ou plutôt l’autrichienne, avait mené une sorte d’enquête auprès des habitants du quartier (toxicomanes, prostituées, chômeurs de toutes provenances géographiques) et montrait, à l’aide de photographies de tatouages, comment les plus démunis inscrivent sur leur corps leur quête d’identité et l’exposition leur offrait la soif de reconnaissance qu’ils espéraient.
Le Français avait fait une installation vidéo dans laquelle des sortes de clips diffusés sur de petits écrans LCD montraient des scènes de violences conjugales visiblement reconstituées pour la caméra mais témoignant néanmoins d’une réalité concrète.
Hermann Deutch, l’artiste allemand, montrait des sortes de sculptures réalisées à partir de meubles éventrés et, lui aussi, à sa façon témoignait de la précarité dans laquelle se trouvaient les habitants mais aussi de leur imagination reconstructrice.
L’artiste irlandaise avait quant à elle, travaillé avec des femmes, quelles que soient leurs origines, pour réaliser, avec elles, des sortes de patchworks sur lesquels des textes brodés en différentes langues témoignaient de leurs désirs, de leurs espérances.
La galerie était bondée et, si nous pûmes y rentrer incognito nous n’en fûmes pas moins bien accueillis par des gosses du quartier, lesquels se firent un plaisir, plus tard, de nous escorter jusqu’à un excellent restaurant. Je sais, ce que je vous raconte peut n’apparaître que comme une anecdote quasi touristique. Il n’en reste pas moins vrai, que, grâce à la présence d’artistes dans ce « quartier défavorisé », une nouvelle économie voyait le jour. Pas seulement une économie monétaire, mais une modification des relations entre des groupes ethniques différents qui vivaient là, et qui, se voyant représentés de façon différentes dans le même espace, celui d’une galerie associative, commençaient à partager leurs cultures et à accepter la présence de l’autre, c’est à dire, notre présence.
Aujourd’hui, à peine quelques années plus tard, le quartier est entièrement rénové ; une nouvelle population s’y est installée tout en en respectant l’aspect patrimonial et architectural et cohabite avec la partie de la population multiraciale qui a pu et su profiter de cette transformation.

Vous percevez, j’en suis sûr, la valeur paradigmatique que recouvre ce type de projet culturel pour le paysage urbain et son climat social, projet réalisé qui montre qu’investir dans la culture, pour montrer les cultures, est politiquement et économiquement rentable.


Tout commence bien sûr par la formation, la création et la mobilité des artistes. C’est pourquoi l’innovation pédagogique sera au cœur de mes préoccupation et je je m’engage à mettre en place un organisme capable d’indiquer aux étudiants d’art des parcours et des réseaux d’excellence.


Mesdames et Messieurs, chers amis européens, sachez que je trouverai les moyens financiers, par une collecte de fonds publics et privés, pour extrapoler à l’échelle de notre continent, ce que nos amis néerlandais ont été capables de faire à l’échelle d’un quartier d’une grande métropole. Mais, soyez rassurés, rien ne sera imposé aux populations autochtones, nous créerons des groupes de consultation qui auront la charge de faire passer nos projets du rêve à la réalité.
Nous nous appuierons également sur les pratiques de la danse qui, peut-être plus encore qu’aucune autre discipline est capable de créer du lien social. Je donnerai au fond social européen davantage de moyens pour qu’il développe, plus encore qu’aujourd’hui, ses activités de formation artistique auprès des jeunes chômeurs qui, ainsi, pourront ré-appartenir à une société dont le travail, ou plutôt, le manque de travail, les en avait exclu.
Apprendre et pratiquer la musique, le théâtre et la danse, la peinture, la sculpture etc., sont autant de moyens d’expression et de création utilisés par les Européens de souche mais, si nous mettions au pluriel chaque mot de notre vocabulaire artistique, nous permettrions à nos comportements, trop spontanément empreints de chauvinisme vernaculaire, de s’ouvrir à d’autres formes de danse, de théâtre, de peinture, de musique, aussi bien que de saveurs, apportées par les mouvements migratoires des populations du monde, qui viennent, sans rien nous prendre, enrichir notre patrimoine culturel. Il ne pourra y avoir de Paix que si l’Autre est reconnu dans son droit et dans le fait fondamental d’être un homme, une femme, issu d’une grande culture. Alors pourra naître le respect, ce qui n’exclut ni les conflits, ni les litiges, mais devrait éviter le pire, la guerre civile.
L’Art, les arts, tous les arts, doivent devenir des lieux symboliques où les affrontements identitaires s’expriment publiquement et de résolvent par le don. Nous aurions beaucoup à gagner à introduire dans nos industries culturelles les théories du don et du contre don que Marcel Mauss a si bien analyser jadis dans les sociétés de Polynésie. Nous pourrions ainsi réguler d’un coup toutes sortes d’institutions : religieuses, juridiques et morales - et celles-ci politiques et familiales en même temps ; cela suppose des formes particulières de la production et de la consommation, ou plutôt de la prestation et de la distribution. J’ai bien conscience de la distance que mes propos peuvent créer avec la position française et sa proposition de loi sur l’HADOPI, mais je rappelle que le Parlement et le Conseil s’étaient clairement opposés à cette idée de loi sous cette forme.
Vous le voyez maintenant, si, dans le vaste domaine culturel, nous pouvions introduire à l’échelle européenne, un nouveau souffle créatif conscient de la puissance transformatrice des arts, puissance de connexion des mondes hétérogènes et des individus, puissance de la pensée de l’équivalence contre la pensée comptabilisante du profit, nous pourrions responsabiliser chaque citoyen tandis qu’à grands coups de répression des libertés nous favoriserons à coup sûr la création de réseaux mafieux.
Je voudrais, pour un instant vous faire entendre un poème issu de notre mythologie scandinave. Il s’agit de l’Edda poétique, tombée dans l’oubli puis redécouverte en Islande en 1643. Le manuscrit fut offert au roi du Danemark. Conservé à la librairie royale de Copenhague, puis il a été restitué à l’Islande en 1971. L’Edda poétique, c’est un ensemble de poèmes rassemblés dans ce manuscrit du XIIIe siècle, le Codex Regius, et qui constitue aujourd’hui la plus importante source de connaissances sur la mythologie scandinave. Je vous lis quelques vers mystérieux issu de la partie intitulée : Hàvamàl - L’ode du Très-Haut

Il y a peu d’homme assez généreux ou hospitalier - Qui refuserait des dons en se privant.
Ni si prodigue de ses possessions – Qu’il s’offusque d’en recevoir un.

- Vous trouverez l’intégralité du texte mis en ligne gratuitement sur l’Internet


Je ne m’étendrai pas davantage aujourd’hui sur le rôle, les devoirs et les contraintes de l’Internet, mais j’espère que vous avez perçu l’intérêt tout particulier que je porte à cette technologie qui est, avec la démocratie laïque, la garantie de la diversité culturelle et de la liberté, liberté de penser et d’agir acquise en partie grâce à une source intarissable de Connaissance, de Savoir et de Partage.
Je vous remercie de votre attention.

Erreip Reicrem

 

 

 

  Ce discours a également été prononcé le 21 Novembre lors du déplacement d’Erreip Reicrem à l’ESAD de Strasbourg pour le cinquantième anniversaire de la création du ministère français de la Culture, aujourd’hui "ministère de la culture et de la communication".

 
 
 
 

voir le contexte de la création de ce texte, sur une proposition d’Éléonore Cheynet

 


 
 
 

Photographie du document joint, Sonia Poirot

Portfolio

Erreip Reicrem lors de son allocution à l'ESAD de Strasbourg carte de l'europe culturelle

Documents joints


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